PRÉSIDENTIELLE 2020 : un citoyen adresse une lettre ouverte à la Cour constitutionnelle

Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle de la République de Guinée, chers membres, chers cadres de la Cour,

Depuis des mois, une importante partie de la population guinéenne combat, sous différentes formes et notamment à travers le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), un mandat supplémentaire pour Monsieur Alpha Condé. Cette lutte, à un moment, avait pris la forme d’une lutte contre le référendum constitutionnel qui, pour moi, malgré son caractère immoral et inopportun, ne pouvait pas être qualifié d’illégal, d’anticonstitutionnel. Je compris donc la position de la Cour qui ne fit que son rôle : dire le droit conformément à la constitution de 2010 et aux principes juridiques.

Le référendum s’est déroulé dans le feu, dans le sang, et dans l’injustice avec un taux de participation faible, toutes choses mettant en cause la moralité et la légitimité des résultats. Mais la Cour, avec l’obligation de dire le droit, n’avait apparemment de choix que de confirmer la légalité les résultats conduisant à l’adoption d’une nouvelle constitution, si toutefois Monsieur Alpha Condé et son clan n’avaient pas altéré à leurs souhaits la version du texte qui avait été soumise au référendum. Votre validation d’un texte différent de celui voté a emporté le peu de crédit qui vous restait auprès des observateurs comme moi. Vous avez échoué ce coup en refusant de dire le droit qui forcerait Monsieur Alpha Condé au respect de sa propre mise en scène.

Dans cette période transitoire, votre Cour est déjà et sera encore confrontée à des prises de décisions difficiles, en raison de la caducité apparente de plusieurs textes, se référant à la constitution de 2010, pendant qu’un nouveau texte est entré en vigueur. J’ose croire que la Cour dira le droit, en conformité avec son esprit, notamment en matière de rétroactivité, afin de se racheter auprès du peuple de Guinée, et de rétablir sa crédibilité.

Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle de la République de Guinée,

Chers membres,

Votre capacité et surtout votre courage à interpréter la loi dans son esprit, de façon impartiale et malgré les pressions, feront de vous des hommes vertueux qui apporteront une paix durable à notre pays. Le contraire fera de vous des personnes vicieuses qui plongeront notre pays dans un chaos incertain de feu et de sang. Comme vous le savez et sans tourner autour du pot, la principale question qui divise les Guinéens actuellement est celle de la candidature de Monsieur Alpha Condé pour un mandat supplémentaire.

Si Monsieur Alpha Condé comme toute autre personne peut se donner le droit de déposer une candidature, rien ne devrait le rassurer que sa candidature sera acceptée par la Cour, qui a l’obligation de vérifier la légalité de celle-ci.

Les constitutions de 2010 et 2020 interdisent toutes les deux qu’une seule personne dirige notre pays pour plus de 2 mandats. Donc, comme vous le savez, en matière de rétroactivité, la loi nouvelle s’applique à tous les principes qui étaient déjà pris en compte par le législateur dans la loi ancienne. Dire que le compteur est remis à zéro parce qu’il y a une nouvelle loi qui dit la même chose que l’ancienne, c’est comme dire qu’il faut libérer un criminel condamné à 5 ans d’emprisonnement juste parce qu’il y a un nouveau code pénal qui n’a pourtant pas changé les sanctions en matière de vol. Si le compteur du nombre de mandat devrait être mis à zéro, il faut aussi mettre celui de la durée du mandat à zéro: donc Monsieur Alpha Condé commence un nouveau mandat de six ans automatiquement car les 4 années passées avant la nouvelle constitution ne doivent plus être prises en compte.

Le principe de limitation du nombre de mandat étant une ancienne règle reconduite par la nouvelle, il va sans dire qu’il s’applique toujours, il rétroagit pour toutes les présidences datant d’après l’adoption de la constitution de 2010. Donc il s’applique à Monsieur Alpha Condé qui n’a pas le droit de briguer un mandat supplémentaire. Monsieur Alpha Condé aurait pu réclamer le droit de se représenter si la nouvelle constitution avait complètement abrogé les dispositions relatives au nombre de mandats, ou si elle avait augmenté le nombre de mandats à trois pour une personne. Le comptage du nombre de mandats ne doit pas se faire à partir de la date d’entrée en vigueur d’une constitution, mais plutôt à partir de la date à laquelle le législateur a instauré le principe, et tant que le principe est encore en vigueur. Ce qui est le cas en Guinée. Par ailleurs, étant donné que les élections présidentielles prochaines seront organisées sur la base de la constitution de 2010 dont le mandat reconnu finit en 2020, comment pouvons-nous justifier une participation avec un texte adopté en 2020. Enfin, la bonne chose pour le peuple de Guinée et les démocrates du monde, est que les dispositions intangibles de la constitution de 2010 n’ont pas été atteintes par le tripatouillage de Monsieur Alpha Condé, comment pourrez-vous justifier alors que ces “intangibilités” ne s’appliquent pas aux événements survenus depuis leur adoption en 2010, puisque la règle demeure, les faits demeurent et l’esprit de la loi demeure.

Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle de la République de Guinée,

Chers membres,

Le peuple de Guinée ne vous regarde presque pas en majorité, parce qu’il n’a aucune confiance aux institutions de notre pays, notamment pas en une Cour constitutionnelle qui est la seule au monde à avoir validé un texte altéré après son adoption par référendum. L’Afrique et le monde ne vous regardent pas non plus, car ils pensent que vous êtes une institution caporalisée et vendue au pouvoir exécutif. Beaucoup de gens croient que je gaspille mon énergie en vous écrivant ces lignes.

Pour ma part, de la manière dont je prends Monsieur Alpha Condé comme un ennemi de la République pour ne pas avoir respecté ses obligations morales et légales, de la même manière je tiens compte du manque de responsabilité de tout Guinéen ayant une parcelle de pouvoirs. La balle est dans votre camp, la balle est dans votre parcelle de pouvoir. Vous devez jouer la balle pour atteindre le but de votre existence, ou vous devez la jouer pour trahir votre équipe (le peuple de Guinée) en aidant l’ennemi qui veut violer les règles dont vous êtes les gardiens.

Voua avez la possibilité de mettre fin à cette crise dans notre pays et de rentrer dans l’histoire par la grande porte, en disant la vérité à Monsieur Alpha Condé, et en demandant à son parti d’introduire une nouvelle candidature. Dans ce cas, et à ce stade, rien ne vous arrivera.

Monsieur Alpha Condé n’a aucune possibilité de dissoudre votre Cour, ou d’en remplacer tous les membres. Le monde entier l’observera dans cette forfaiture de trop, qui ne marchera évidemment pas. Et même si Alpha Condé réussissait à remplacer la Cour, vous vivrez avec la conscience tranquille, il ne pourra que réduire vos avantages financiers, pas plus. Je sais que les avantages financiers sont très importants pour nos familles et nos amis, mais l’honneur aussi l’est pour eux, le respect et la dignité le sont.

Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle de la République de Guinée,

Chers membres,

Si vous validez la candidature de Monsieur Alpha Condé en sachant l’illégalité, vous vendrez vos âmes aux diables, et le sang qui sera versé, les âmes qui seront ôtées, habiteront vos consciences, et troubleront vos sommeils, pour toujours. Si le peuple ne vous regarde pas, n’oubliez jamais que vos consciences vous écoutent et de l’au-delà, Dieu, l’Omniscient, l’Omniprésent et l’Omnipotent vous regarde. A vous de jouer !

Vive la République, vive le droit !

Mamoudou Nagnalen Barry

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