Soro : « Pas d’élection en Côte d’Ivoire tant que Ouattara sera candidat »

Guillaume Soro défie le Président sortant, désormais « inéligible » à un 3ème mandat. Il invite toute l’opposition ivoirienne à « faire bloc » pour déjouer le « coup d’Etat constitutionnel » d’Alassane Ouattara. Et appelle tous les Ivoiriens, comme la communauté internationale, à se mobiliser pour éviter le pire en Côte d’Ivoire.

Arbitrairement exclu de la compétition électorale pour l’élection présidentielle du 31 octobre prochain en Côte d’Ivoire alors qu’il fut le premier candidat à se déclarer officiellement il y a un an, Guillaume Soro n’est pas homme à se laisser abattre aussi facilement. Et il ne mâche pas ses mots pour mettre le Président Alassane Ouattara, qui « est inéligible », devant ses responsabilités écrasantes pour l’Histoire et la Côte d’Ivoire !

L’actuel chef de l’Etat ivoirien, qui sans lui ne serait jamais arrivé au pouvoir en 2010, ajoute-t-il, « veut imposer une nouvelle crise à la Côte d’Ivoire. Il est déterminé, mais nous aussi. Ouattara sera coupable de ces manigances ».

« Ma candidature est ferme, irréductible et irrévocable (mais) il n’y aura pas d’élection en Côte d’Ivoire le 31 octobre prochain tant qu’Alassane Ouattara sera candidat » car « c’est clair : Ouattara a fait ses deux mandats, il ne peut en faire un troisième ».

Au cours d’une conférence de presse organisée hier matin à Paris par la courageuse Patricia Balme (dont Ouattara se sépara dès son accession au pouvoir) à l’Hôtel Bristol, à deux pas de l’Elysée, l’ancien Président de l’Assemblée nationale annonce d’entrée de jeu la couleur et remonte au front pour sa rentrée politique. Il va falloir compter avec lui.

« Le 28 janvier dernier, dans cette même salle, rappelle-t-il,  j’avais mis en garde contre la volonté du Président Ouattara d’une entourloupe… » Nous y sommes. Arguant que la Constitution de 2016 avait remis les compteurs à zéro et qu’il pouvait donc accomplir son premier mandat sous la 3ème République, le Président ivoirien a cherché à embobiner tout le monde en invoquant un cas de « force majeure » et en faisant don de sa personne au pays – air connu ! – pour rester coûte que coûte au pouvoir. Mais la ficelle est trop grosse et le peuple ivoirien commence à ouvrir les yeux et à se lever avec courage pour dénoncer cette manœuvre grossière et ce 3ème mandat que tous les plus grands juristes ivoiriens qualifient d’ « anticonstitutionnel ».

Guillaume Soro salue d’ailleurs le courage des Ivoiriens et des nombreuses femmes aux mains nues qui redescendent dans la rue pour dire « Non au 3ème mandat » car, souligne-t-il, « il y a déjà eu plus d’une trentaine de morts, plus de 200 arrestations, dont 60 de mes compagnons de GPS (Générations et Peuples Solidaires), cinq députés jetés en prison sans même que leur immunité parlementaire ne soit levée et deux de mes frères de lait ont été pris en otages ». On demeure sans aucune nouvelle d’eux depuis Noël dernier !

Quand il rappelle à tous cette répression sanglante et ces faits accablants qui n’ont pas fait les gros titres de la presse internationale cet été, le président de GPS sait donc parfaitement de quoi il parle. Ses avocats, qui l’entourent et dénoncent la « vraie parodie de justice », dont leur client est victime depuis décembre dernier, aussi.

« Je n’irai pas aux élections tant que Ouattara sera candidat car ce serait cautionner la forfaiture et valider le coup d’Etat constitutionnel », prévient haut et fort Guillaume Soro qui paraît plus déterminé que jamais à faire entendre sa voix, même s’il est contraint de vivre en exil en France depuis décembre dernier. Mais, observe-t-il cependant, « mon exil ne sera que provisoire » car la Constitution ivoirienne interdit d’exiler un de ses fils et « je rentrerai au pays ».

En l’état actuel, « maintenir l’élection du 31 octobre en Côte d’Ivoire n’a aucun sens, y participer serait cautionner le coup d’Etat civil de M. Ouattara (…) Le scrutin du 31 n’aura pas lieu», prévient-il encore en appelant les Ivoiriens à se mobiliser pour enrayer cette spirale infernale – déclenchée par un pouvoir aveugle et sourd – qui ne peut conduire le pays qu’à la guerre civile. On a déjà tiré cette semaine à balles réelles dans plusieurs villes de province comme Bonoua, la capitale de l’ananas, à proximité de Grand Bassam.

«C’est pourquoi j’en appelle à une unité d’action de l’opposition pour stopper M. Ouattara dans sa folle aventure par tous les moyens légaux et légitimes ». Et de poursuivre : « Je demande aux candidats retenus ou non (…) de prendre ensemble nos responsabilités et de faire bloc. Il s’agira de tous ensemble saisir la CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne et l’ONU en vue d’obtenir des élections démocratiques, transparentes et inclusives comme ce fut le cas en 2010 ». Et Soro d’inviter solennellement le peuple ivoirien à se mobiliser pour « faire barrage au 3ème mandat inconstitutionnel et interdit de M. Ouattara ».

Un message clairement adressé à l’ex-Président Henri Konan Bédié, dont la candidature a été habilement validée par le pouvoir pour tenter précisément de diviser le front uni de l’opposition et qui aurait tout à perdre en cautionnant cette « mascarade électorale »puisqu’il ne sera jamais élu et que les résultats sont déjà connus dans les allées du pouvoir à Abidjan. Ces jours-ci, Soro va donc se concerter en urgence aussi avec l’ex-Président Laurent Gbabgo et les anciens ministres Marcel Amon-Tanoh, Albert Mabri Toikeusse et Mamadou Koulibay notamment, dont toutes les candidatures ont été rejetées par de « bien curieuses magouilles » du Conseil constitutionnel qu’ils dénoncent les uns et les autres, preuves à l’appui, dans des vidéos que tous peuvent consulter sur le net pour s’informer.

Au passage, l’ancien Président de l’Assemblée nationale se plait à saluer le courage de certains chefs d’Etat africains pour leur « posture »clairement affichée contre le 3ème mandat de leur homologue ivoirien. Il cite ainsi les noms du Président nigérian Muhammadu Buhari, auquel il rendra visite prochainement lors d’une mini-tournée africaine, du Président nigérien Mahamoudou Issoufou, qui a donné l’exemple en renonçant à briguer un troisième mandat en décembre prochain à Niamey, du Président sénégalais Macky Sall et du jeune Président de Guinée-Bissau, Umaro Sissoko Embalo pour avoir eu le courage de mettre en garde Ouattara. Hélas, sans succès.

« Si l’on permet à Ouattara de violer la Constitution ivoirienne, que pourra-t-on dire demain » à ceux qui vont imiter son exemple dans les pays voisins ? Un chemin hasardeux dans lequel s’est déjà engouffré le président guinéen Alpha Condé qui, dans la foulée de Ouattara, « a décidé lui-aussi de faire un 3ème mandat » en se présentant, à 82 ans, à l’élection du 18 octobre après avoir lui-aussi tripatouillé la Constitution au printemps dernier.

« Le combat que nous menons aujourd’hui en Côte d’Ivoire, observe-t-il, est aussi un combat pour l’Afrique pour mettre un terme aux présidences à vie et aux coups d’Etat constitutionnels ».

Plus combatif que jamais, Guillaume Soro profite de cette tribune internationale pour mettre ses cartes sur table et faire clairement et publiquement connaître ses exigences :

·     La libération immédiate de ses proches et de tous les prisonniers politiques, que vient d’ailleurs de réclamer avec courage l’Assemblée parlementaire de la Francophonie.

·     La dissolution de la CEI (Commission électorale indépendante) qui a failli dans sa mission, et la mise en place d’une nouvelle CEI conformément à la décision de la Cour africaine des Droits de l’homme et des Peuples qui siège à Arusha (Tanzanie).

·     La mise en place d’un Conseil constitutionnel non inféodé au RHDP.

·     Un audit international de la liste électorale et la présence d’observateurs internationaux.

En véritable « bête politique », Guillaume Soro place donc la barre très haut. Et met les uns et les autres devant leurs responsabilités historiques car, si l’on voulait résumer son état d’esprit, tout ne peut et ne doit pas s’acheter en politique. Un Président doit cesser de croire qu’il peut acheter impunément et indéfiniment les candidats, dont il choisit de faire ses adversaires politiques, les juges et même les journalistes… Comme cela a cours depuis trop longtemps en Côte d’Ivoire. Ces pratiques d’un autre temps doivent cesser en Afrique !

Par Bruno Fanucchi (www.lafriqueaujourdhui.net)

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