L’année 2020, au calendrier électoral chargé, a posé de réels défis pour la démocratie et l’État de droit en Afrique sub-saharienne. Ces défis ont été souvent aggravés par la gestion de la pandémie du COVID-19 . En Côte d’Ivoire, en Guinée et en Tanzanie, où la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres ont suivi de près la situation, les élections générales de 2020 ont été émaillées d’incidents, y compris de violations des droits humains avant, pendant et après la tenue des élections, nuisant à la crédibilité des résultats et au processus électoral dans son ensemble. La FIDH et ses organisations membres dans ces pays condamnent ces violences et s’insurgent face au recul de la démocratie sur l’ensemble du continent
Contexte
Alpha Condé, au pouvoir en Guinée depuis 2010, a été réélu à un troisième mandat lors de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020, dans des conditions contestées et un contexte entaché par des violences. Ce troisième mandat a été rendu possible par une modification de la Constitution votée en mars 2020. Le 6 avril 2020, le Barreau de Guinée a constaté des divergences entre la Constitution promulguée et celle approuvée lors du scrutin en mars, et a dénoncé l’atteinte à l’État de droit en Guinée. La nouvelle Constitution permet en effet au président Condé de rester au pouvoir au moins douze années de plus. A l’occasion du double scrutin en mars, [3] des observateurs internationaux (dont ceux de l’Organisation internationale de la francophonie) ont constaté des irrégularités majeures dans le fichier électoral [4], qui les ont amenés à ne pas reconduire leur mission d’observation lors de l’élection présidentielle d’octobre. Selon les informations reçues par nos organisations, ces irrégularités signalées par des observateurs internationaux n’ont pas été rectifiées en amont du vote d’octobre.
Les partis de l’opposition, regroupés sous la bannière du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), ont largement boycotté les deux scrutins, déplorant des manœuvres illégales visant à permettre au président de briguer un troisième mandat. Boycotts et manifestations ont été violemment réprimés par les forces de l’ordre. Nous avons également constaté une escalade dans l’acharnement à l’encontre des défenseur.e.s et des opposant.e.s politiques dans toutes les régions, comme en témoignent les cas d’Oumar Sylla [5] – libéré et puis de nouveau arrêté le 29 septembre – et de Saikou Yaya Diallo. Malgré deux décisions judiciaires ordonnant sa libération, M. Diallo a été maintenu en détention puis condamné à un an de prison le 16 novembre, alors que selon ses avocats aucune preuve de sa culpabilité n’a été presentée. [6] Suite aux résultats provisoires donnant au président sortant près de 60% des voix le 24 octobre 2020, les partis de l’opposition ont déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle le 1er novembre. Leurs demandes ont été rejetées et Alpha Condé proclamé gagnant dès le premier tour, le 7 novembre.
En Tanzanie, les élections nationales d’octobre 2020 ont confirmé la tendance autoritaire que le pays connaît depuis 2015, lorsque John Pombe Magufuli a été élu pour la première fois à la tête de l’État. L’initiative régionale d’observation des élections en Tanzanie (Tanzania Election Watch – TEW) [7], créée suite à de nombreux refus d’accréditation d’observation électorale au niveau national, a documenté plusieurs atteintes au processus électoral, mettant en cause le caractère démocratique du scrutin. Dans un contexte de fortes restrictions de l’espace démocratique, qui se sont aggravées à l’approche du vote et durant les élections, TEW a noté des arrestations arbitraires, notamment d’opposants politiques du Parti pour la démocratie et le progrès (Chama cha Demokrasia na Maendeleo – CHADEMA) et de l’Alliance pour le changement et la démocratie (Alliance for Change and Transparency/ACT – Wazalendo), des allégations d’assassinats, d’actes de torture et de violences perpétrés par les forces de l’ordre, usant de manière disproportionnée de la force à l’encontre de civils, et des cas d’irrégularités et de fraudes lors du vote. La victoire annoncée des candidats du parti au pouvoir (le Chama Cha Mapinduzi – CCM ou
Parti de la Révolution) aux élections présidentielles a provoqué une forte mobilisation de la société civile, privée de moyens légaux pour contester le processus électoral, et a plongé le pays dans une crise post-électorale, où répression et violence se poursuivent. TEW et nos organisations s’inquiètent particulièrement de l’arrestation et de la détention continue de chefs de l’opposition et de leur inculpation pour crimes économiques, une arme déjà utilisée en période pré-électorale pour taire toute contestation. Des membres de l’opposition et de la société civile ont également fui le pays depuis les élections, craignant pour leur vie et leur sécurité. [8]
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